« GROSSE ÉPONGE » est un projet très particulier de 3 images, réalisées en confinement via FaceTime en collaboration (conception-rédaction) avec l’activiste Métaux Lourds. En live, j’ai photographié Marine à travers mon iPad, celui-ci entouré d’objets. Comme des symboles, ces objets évoquent certaines injonctions faites aux femmes grosses, sur leur représentation et leur alimentation, mettant en lumière la grossophobie et le sexisme qu’elles subissent.
Éponges à émotions, éponges à injonctions, les femmes grosses sont hors des standards et sujettes aux moqueries et à l’oppression. Comme une éponge, elles absorbent ce que la société leur transmet : « tu es laide, tu es faible, tu n’es pas comme tu devrais, la pire des choses serait de te ressembler,... ». Et comme une éponge, elles grossissent. Car émotions, blessures, traumatismes et troubles du comportement alimentaire sont liés.
On ne naît pas grosse, on le devient. Et bien souvent, l’obésité naît de ces injonctions permanentes, de ces émotions négatives, de ce corps qui ne sera jamais parfait, jamais normé. Alors, un nouveau standard de beauté se créée au sein même des femmes grosses : celui de « la grosse acceptable ». Celle qui aurait les bonnes courbes aux bons endroits. Le gras bien réparti. Un gros fessier, des hanches larges, mais une taille fine. Un rapport tailles-hanches ancré inconsciemment dans la définition de « ce que devrait être un corps féminin ». Cette morphologie en sablier, parce que plus acceptée, devient alors un privilège. Ici, un corps privilégié aussi car blanc et jeune. Pourtant, loin des standards, les femmes grosses peuvent s’aimer, se montrer, avoir droit au respect et être représentées.
L’alimentation des personnes grosses est particulièrement scrutée et jugée. Les regards de côté. Les petites réflexions. Les grands débats sur la santé et la nutrition.
La « grosse acceptable », c'est celle qui veut changer à tout prix. Celle qui veut maigrir. Celle qui fait des efforts en conséquence pour se priver, ou au moins contrôler son assiette. Compte donc les calories chérie, le cycle infernal des régimes est devant toi… et dépêche-toi de changer pour qu’on t’accepte, n’est-ce pas ?! Alors, en public, il vaudra mieux manger une salade qu’un gros Big Mac pour moins sentir le poids du regard des autres. Le simple fait de manger devient alors source de culpabilité. Et le cycle continue.
De quel droit se soucie-t-on autant de l’assiette des autres et de leur état de santé ? D’un coup, tout le monde devient médecin ou expert quand il est question de poids, avec supplément ton culpabilisateur. L’obésité est pourtant un symptôme : TCA, troubles mentaux, troubles hormonaux, facteurs génétiques, différence de métabolisme... les causes et les conséquences sont multi-factorielles. Et cela ne regarde personne. La santé n’est pas à prouver. La santé, c’est privé. Pour autant, les gros·ses demandent juste à pouvoir exister et à être représenté·e·s. À ne pas être jugé·e·s constamment sur leur façon d’être, de se nourrir ou de se soigner. Être et apparaître gros·se sans être qualifé·e d’étendard de la bonne ou de la mauvaise santé. Sans devoir se justifier. Comme si la preuve de la santé et du bon état de nos organes déterminait le respect que l’on doit recevoir… Occupe-toi donc de ton assiette.
Éponges à émotions donc, injonctions à une alimentation healthy et restrictive, jugements constants… Il y a aussi ce lien étrange entre la féminité et manger peu. Un appétit de moineau. Ne pas prendre trop de place. Le moins, le mieux.
Cette féminité, il faudra la démontrer d’autant plus quand on est grosse ; en pousser les curseurs, se mettre en valeur et prendre soin de soi, dans une forme de surperformance. « Prouver » sa féminité, tant les codes et standards d’aujourd’hui font un lien entre minceur et féminité. Par exemple, la fille mince et jeune, en jean Tshirt et sans maquillage, peut être vue comme au naturel et à la fraîcheur déconcertantes. Mais quand on est grosse, un jean Tshirt no Makeup sera vu comme de la fainéantise, la loi du moindre effort… Il vaudra mieux cintrer la taille, mouler les hanches, mettre du rouge à lèvres… Accentuer les artifices de la féminité, travailler sa désirabilité, puisque le corps naturellement gros est disqualifié par la société. Quand on est grosse, il y a comme une obligation faussement tacite de constamment faire un effort pour faire oublier la place que l’on prend, faire oublier qu’on n’est pas dans la norme, essayer de rentrer dans un nouveau moule, pour au moins tenter d’atténuer les regards et remarques désobligeantes. Vivement qu’on se débarasse de toutes ces injonctions sur les corps, pour que les personnes grosses puissent exister comme elles le veulent, et qu’on accueille la diversité des corps sans jugements !
2020, Paris.